Écoutez l’émission du 28 aout en hommage à allain leprest
Poète, chanteur, parolier à l’immense talent, Allain Leprest s’est donné la mort dans la nuit du 14 au 15 aout dernier… Un jour d’assomption … pour aller où ? Lui-seul le sait peut être. Il est mort chez Ferrat, ou presque. A Antraigues, en Ardèche, on fera désormais double pèlerinage, double ration, double peine. La Volane se chargera plus encore de larmes, au risque de sortir de son lit, de noyer le Rhône. Le chagrin est à ce prix et la chanson en grand deuil, comme rarement.
Il nous reste ses chansons. Les textes sur lesquelles il a posé sa voix rocailleuse et profonde. Et puis celles qu’il a offertes aux autres… Et puis cet ouvrage, superbe dans lequel Allain et sa complice Franscesca Solleville, se livrent avec bonheur à l’exercice du portrait croisé. portant le flambeau de la Liberté, et des mots.
Pour chacun, on voit incarnée l’aspiration à un idéal : humaniste, humain, fraternel.
Allain Leprest est né en 1954 à Lestre en Normandie. Être poète n’est pas l’ambition d’Allain Leprest, c’est sa manière d’être seul et de se souvenir que le jour meurt, que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure. Allain Leprest pourrait dire comme Fernando Pessoa : « Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer ! » Comme un oiseau dans une cage, il arrive qu’Allain Leprest ait mal aux ailes. Alors, il va, marche d’un pas et d’un sourcil graves. Il va voir ses amis. C’est une deuxième vie. Francesca Solleville est née en 1932 à Périgueux en Dordogne. Pierre, son père, est français et Lidia, sa mère, fille d’anarchistes, est italienne. Habitée par la scène et par l’insolence de sa pensée, Francesca chante avec une voix un peu rauque une poésie volontaire et engagée, mais aussi une poésie qui s’estompe, fatiguée, traîne ses ailes dans la fumée du petit matin…
Quand un jour, les chemins d’Allain et Francesca se croisent, à Antraigues, en Ardèche, sur la musique de Gérard Pierron, en 1994.
De cette rencontre naît un album entier : Al dente…
Reste aussi le souvenir d’un « mec » engagé, communiste, l’un des dernier peut être. Un hommage lui sera rendu lors de la prochaine fête de l’huma.
Salut Mec!
à Leprest
Ne dis pas qu’ tu m’épelles
Pour que j’arrose les fleurs
Toi qui battais des ailes
Et qui buvais nos pleurs
Moi j’écluse tes vers
Sacré coco d’Ivry
Ménestrel et trouvère
Des mots du parti pris
Potache au vermicelle
Ferrailleur du chagrin
Père d’un joyeux noël
Et d’une valse pour rien
Si j’avais eu deux ailes
Je ferais nananère
Avec toutes les voyelles
Du dico de grand-mère
Je serais l’artisan
Du verbe solidaire
Chantre des partisans
De vers libres comme l’air
A La Courneuve, amer
J’irais nu d’un coup d’aile
Et s’il pleut sur la mer
Donne-moi de mes nouvelles
Si j’avais eu deux ailes
Du Cotentin natal
J’aurais vu dans le ciel
Gagarine c’est fatal
J’habite tant de voyages
Dans le flot des sans grade
Que faire à Jean hommage
C’est good bye camarade
Paroles de manchots
Quand les banquises fondent
On sent qu’y a quelqu’ chos’
Qui manque en ce bas monde
Peut-être un Saint Michel
Pour s’escrimer un max
A faire la courte échelle
Musicale à Saint Max
Ou peut-être Mozart
P’tit enfant d’ verre rebelle
Qui se fout des beaux-arts
De nos tours de Babel
Ou bien Saint Pierre Semard
Frère des chemins de frères
Martyr sous la Wehrmacht
De ceux qui nazillèrent
Si j’avais eu deux ailes
Comme ce pauvre Lélian
Mes fugues à Bruxelles
Seraient des faux-fuyants
J’ port’ rais un joli nom
Comm’ tout c’ qu’est
[dégueulasse
Et tant pis pour le con
Qu’a dit y a rien qui s’ passe
Et si je viens vous voir
Au café littéraire
C’est pour un au reboire
Au copain de mon père
Si j’avais eu deux ailes
Jusqu’à la fin du bal
Ma gitane infidèle
M’ dirait « t’as pas cent balles »
Fille de soixante piges
Toi dont le cul est rond
Chienne d’ivrogne callipyge
Tu n’auras plus mes ronds
Ni couverts ni sous-verres
Sur ces nappes en papier
Que mes vers ont couverts
De rimes à perdre pieds
Si j’ai un coup dans l’aile
Et la marge trébuchante
Sans faire d’excès de zèle
Je boîte double quand je
[chante
J’ai peur d’avoir pas l’ temps
De finir la bouteille
Après plus de vingt ans
De plume dans la treille
Amoureux en colère
Êtes-vous là gens que j’aime?
Vos ciels sont mon désert
Mes ailes votre poème
Ne dis pas qu’ tu m’épelles
Pour que j’arrose les fleurs
Toi qui battais des ailes
Et qui buvais nos pleurs
Ne dis pas qu’ tu m’épelles
Pour que je sèche mes pleurs
Avec une ou deux ailes
J’arroserai tes fleurs
Alain FAURE
« L’écriture, c’est la parole des morts »
Allain Leprest
« …et d’ineffables vents m’ont ailé
par instants … » Rimbaud Le bateau ivre
cher Alain Faure, n’avoir qu’un L ne vous empêche pas d’avoir une belle plume.
Merci !