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A mille lieues des discours infantilisants des hommes politiques et du ressassement médiatique, l’historien et ethnologue Michel Koutouzis nous livre une analyse aussi pertinente que décapante des gesticulations occidentales concernant la guerre syrienne et plus généralement des motivations réelles des guerres d’intervention.
Effectivement, dès lors que l’on accepte de se poser de poser un regard calme sur la situation, en essayant d’intégrer des paramètres éludés, on réalise que le théatre des opérations est complexe : « Le nord-est syrien est sous le contrôle kurde. Cela inquiète la Turquie. Deux composantes djihadistes (ASL et Idlib), à l’est, au centre et à la frontière turque ont créé des zones autonomes et se tapent dessus quand elles peuvent. Une multitude de petits groupes fondamentalistes (sunnites en majorité) sillonnent le pays confondant révolution et prédation. Cela inquiète les Etats Unis et l’Europe. Une partie des villes et même le nord-est de Damas sont sous le contrôle fluide d’insurgés laïques. Ce qui inquiète aussi bien l’Iran que les pays du Golfe, gros mais sélectifs financeurs de l’insurrection. Le Hezbollah agit en profondeur sur le sol syrien aux côtés de l’armée syrienne. Cela préoccupe l’Europe et Israël. A l’intérieur de cette guerre, des mini guerres opposant kurdes et fondamentalistes, groupes djihadistes, laïques et religieux, Alaouites et Sunnites, participent au chaos tandis que des milices (chrétiens, sunnites, chiites, kurdes) fortifient bourgs puits, barrages et villages taxant au passage les routes et les chemins qui y mènent. Même ceux qui pendant des décennies se considéraient simplement syriens doivent aujourd’hui adosser au moins un des qualificatifs politico – religieux et/ou ethniques ci-dessus. L’action en profondeur des uns et des autres est quasi impossible. La guerre prend l’allure d’incursions punitives successives, de guerre de positions (aux dépends de ce qui reste des villes), et de bombardements massifs. Pour les uns comme pour les autres des secteurs de territoire incertains reliés par des corridors encore plus incertains et changeants. Un bon tiers des villes et de leurs infrastructures est totalement détruit, comme les systèmes d’irrigation, les réseaux électriques, les routes, sans oublier la destruction massive du patrimoine historique. D’ores et déjà, tandis que le pouvoir politique reste toujours en place, la Syrie est un pays détruit qu’un vingtième de sa population a déjà fuit. Il est aussi devenu un jouet de ses voisins (Israël, Turquie, Iran), se « libanise », tandis que le Liban reprend allègrement le chemin de la « grande catastrophe » Les pertes humaines sont énormes mais aussi, produit d’une multitude de guerres, invérifiables, d’autant plus que s’y ajoutent des règlements de compte, on « résout » des différents entre villages, familles, clans qui n’ont rien avoir avec les enjeux de la guerre elle même.
Complexe, les enjeux à l’extérieurs de la Syrie ne le sont pas moins : Israël, par exemple, a tout à perdre avec la chute de Bachar el – Assad mais tout à gagner d’un affaiblissement de l’Iran qui le soutient et du Hezbollah, acteur en Syrie et soutenu par l’Iran. La Turquie, par ses barrages anatoliens tient les vannes qui peuvent transformer en désert ou en jardins fleuris la quasi-totalité de l’espace agricole syrien. Mais elle craint aussi l’émergence d’un Etat kurde et celui de l’entité autonome en Iraq lui suffit amplement comme problème. Chypre possède sur son sol une base aérienne britannique mais, après avoir porté un coup bas aux sociétés offshore russes à son corps défendant ne veux pas aggraver ses relations avec la Russie. Tout comme la Grèce et la base américaine de Souda en Crète. La Russie et la Chine, qui ne s’embarrassent pas du concept de guerre juste quand elles interviennent à leurs marches (ou supposées l’être) savent rappeler aux alliances atlantiques qu’ils ont été largement abusés en Libye et que cela ne se reproduira plus. Faites ce que vous voulez insinuent-ils mais cela se fera aux dépends de vos propres concepts (guerre juste adossée par la communauté internationale).
Tous ceux qui « s’inquiètent », qui « restent préoccupés », ou affirment leur « indignation » oublient un peu trop vite qu’ils ont surtout « misé » sur une solution rapide des uns ou des autres, participant de la sorte à l’impasse. Naît alors la notion d’une « mort inacceptable » pour cacher l’acceptation de dizaines de milliers de morts et de la destruction massive d’un pays. On découvre soudainement que tuer par le gaz sarin est un casus beli, tandis qu’au même moment des bombardements massifs mais « admis » en tuent bien plus. Ce n’est plus la mort en soit mais cette mort spécifique qui mobilise, tandis que les médias et les opinions manipulées participent à ce jeu destructeur de leur propre entendement qui spécifie de manière morbide leurs résistances morales par rapport à ce désastre global. » Lire la suite et partager