Livres, Radio : émissions 2013

Ibni Oumar Mahamat Saleh : l’alternative démocratique tchadienne sacrifiée.

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Guy-Labertit

Le livre de Guy Labertit est une sorte d’aiguillon contre l’oubli. Cinq ans après la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh la recherche (réelle ou feinte) de la vérité n’a toujours pas abouti. Et la justice n’a pas été rendue… Raconter la vie d’Ibni, son ami disparu (sans doute à jamais), est pour l’auteur l’occasion de lui rendre hommage et d’apporter un éclairage sur l’histoire du Tchad.  L’ouvrage « Ibni (1949-2008), une vie politique assassinée au Tcahd » , paru aux éditions du Grigri, porte ainsi autant sur le contexte que sur le personnage d’Ibni lui-même, remémoré à travers les rencontres et les échanges qui ont émaillé la vie des deux hommes.

C’est par l’arrestation d’Ibni que commence le récit, et tout de suite, Guy Labertit se refuse à ménager les responsables politiques français : « Entre le moment de son arrestation et sa mort vraisemblablement liée aux sévices subis peu après son enlèvement, les militaires français sur place qui avaient su tirer d’affaire Idriss Déby Itno (…) étaient en capacité, s’il y avait eu une réelle pression politique de Paris, d’empêcher l’arrestation d’Ibni et de le sauver de cette fin ignoble »

Puis l’histoire reprend à son début : à la première rencontre entre Guy Labertit et Ibni, en 1975, à Orléans. Alors étudiant, Ibni fait partie du Groupe d’information sur le Tchad (GIT) animé par Jacques Guidée. Il milite aussi plus secrètement au sein du Groupe Mahamat Camara (GMC) qui rassemble des étudiants marxistes défendant les objectifs du FROLINAT, parmi lesquels Acheikh Ibn Oumar et Adoum Yacoub Kougou.

En juin 1978, il part pour le maquis. Mais la désillusion est rapide. La lutte d’influence que se livrent la Libye et le Soudan provoque l’explosion du FROLINAT. Ibni est de retour dès janvier 1979. Le GMC est dissout en mai. Ibni choisit d’être enseignant en mathématiques. Il est en Algérie à la rentrée scolaire de 1979, puis à Niamey de 1980 à 1985. Il devient alors observateur d’« une génération sacrifiée sans que l’on discerne vraiment le sens du sacrifice » (p.64). Mais le sentiment de perdre son temps l’amène à épouser l’idée d’une « troisième voie », une opposition civile, démocratique, la forme que prendra son engagement courageux, presque dix ans plus tard.

Le mal du pays le ramène avec sa famille au Tchad, en 1985. En 1988, il devient ministre de Hissène Habré. C’est pour Guy Labertit « une terrible surprise » qui « met en suspension » leur amitié. Ministre de l’Elevage et de l’Hydraulique pastorale, puis de l’Enseignement supérieur, enfin du Plan et de la Coopération, Ibni Oumar Mahamat Saleh est, après la chute de Hissène Habré, contacté par Idriss Déby qui l’invite à reprendre des responsabilités. Il devient Recteur, puis de nouveau Ministre du Plan et de la Coopération. Mais à partir de la fin de l’année 1992, il est « dans une sorte d’entre-deux » (p.108) : alors qu’il participe au gouvernement, il travaille à mettre sur pied une force politique autonome, le Parti pour les libertés et le développement (PLD), qui naît en septembre 1993 de discussions secrètes. Autorisé en décembre 1993, le PLD – dont la devise est « Travailler pour la justice » – vise l’instauration d’une République unitaire et laïque.

Ibni quitte le gouvernement le 17 mai 1994. Il ne s’affranchit pas pour autant d’une certaine ambiguïté : alors qu’il critique avec lucidité le régime, son parti le PLD fait alliance avec le MPS – parti présidentiel – jusqu’en 1997. Lors de l’élection présidentielle de 1996, Ibni déclare faire « le choix de la raison » en soutenant la candidature d’Idriss Déby : pour lui, le retour de l’opposition armée dans la République est le préalable à la reconstruction de la démocratie ; et il estime qu’Idriss Déby est le plus à même de garantir la stabilité du pays. Il sera déçu.

Vers 1997, Ibni déclare à Guy Labertit que « le plus dur politiquement, ce sera la rupture avec Déby » (p.125), comme lui originaire du nord du Tchad, et qui ne peut accepter de concurrents de sa propre région. Selon l’auteur, dès 1999, Ibni semble craindre pour sa sécurité. Il fait néanmoins le choix « courageux et lourd de conséquences » (p.135) de se présenter à l’élection présidentielle de 2001. Les fraudes sont massives, et Idriss Déby déclaré vainqueur au premier tour. Ibni travaille alors à l’unité de l’opposition civile démocratique, d’abord à travers la création de la Convention pour l’alternance démocratique (CAD) en 2003, puis dans le cadre plus vaste de la Coordination des partis pour la défense de la Constitution (CPDC), qui rassemble 25 partis dès 2004 et dont il devient le porte-parole. Considérant les dysfonctionnements du processus électoral, les partis d’opposition boycottent les élections présidentielles de 2006. A partir d’avril 2007, des discussions entre l’opposition démocratique et la majorité présidentielle sous l’égide de l’Union européenne aboutissent à la signature d’un accord le 13 août 2007 « en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad ». Ibni est soucieux et dubitatif. L’échec du Comité de suivi de l’accord lui donnera raison.

« Ce livre n’est pas vain, car il n’est jamais vain de clamer notre vérité, même lorsque l’on se trouve face à des pierres sourdes à notre cri », écrit Théophile Kouamouo en préface à l’ouvrage de Guy Labertit. Et certes il n’est pas vain de raconter cet « itinéraire douloureux, contradictoire et tragique » (p.92) qui fut celui d’Ibni Oumar Mahamat Saleh. Mais l’honnêteté de ce livre est aussi sa limite : Guy Labertit dit ce qu’il sait du parcours de son ami. Reste à combler les vides, à aller « arracher la vérité ». La parole est aux Tchadiens.

Engagé dès 1968, à 19 ans, dans l’action syndicale et associative, Guy Labertit qui a animé puis dirigé la revue Libération Afrique de 1979 à 1986, a rejoint tardivement le Parti socialiste unifié (PSU) dont il a été le dernier responsable des relations internationales. Membre du secrétariat international du parti socialiste (PS) en 1991, il a été délégué national à l’Afrique de ce parti de 1993 à 2006 Celui que la presse a surnommé  » le Monsieur Afrique du PS  » a été membre du Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI) de 1999 à 2002. Il a par ailleurs été un élu local socialiste de la ville de Vitry sur Seine (Val de Marne) de 1995 à 2008. Actuellement il est conseiller Afrique et Amérique latine de Pierre Mauroy, président de la fondation Jean Jaurès.


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