Chroniques de Vincent Turban, Radio : émissions 2013

James Jamerson, le père de la basse moderne

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jamersonMusicien de génie avec un sens du rythme et du groove incroyable, pilier du label légendaire Motown mais esprit tourmenté, James Jamerson, disparu il y a 28 ans, continue d’influencer tous les bassistes de la planète, et ce quels que soient leurs styles.
Né le 29 Janvier 1938 à Edisto Island, en Caroline Du Sud, le jeune James faisait déjà danser les fourmis avec un bâton et un élastique planté dans une fourmilière. Après l’école, Jamerson et ses camarades se réunissaient dans une maison désaffectée où trônait un piano et une contrebasse, c’est le début de l’apprentissage musical au sein du lycée de Northwestern.
Parti pour une vie meilleure dans le Michigan, il débarque avec sa mère à Detroit en 1954. Trouvant des engagements dans les clubs de jazz, il rencontre Berry Gordy, un ancien boxeur, débordant d’ambition et souhaitant créer une maison de disques..
C’est l’acte de naissance de Motown Records (contraction de Motor et Town) et Jamerson est l’un des premiers engagés avec le batteur Benny Benjamin (alias Papa Zita) et le pianiste Joe Hunter, en tant que musicien de studio. Ce noyau constitue les bases de l’orchestre maison, les Funk Brothers.
La grande évolution majeure pour Jamerson est l’adoption de la Basse Fender Precision au début de la décennie 1960. Restant fidèle à la contrebasse lors de ses premiers enregistrements, il passe progressivement à la basse électrique malgré le scepticisme de Lamont Dozier, auteur-compositeur formant le trio imparable avec les Frères Holland ( » je ne veux pas de cette merde  » déclara t’il avant de se raviser en entendant les qualités sonores de l’invention de Monsieur Leo Fender).
Un premier exemplaire lui fut offert par le jazzman Horace  » Chili  » Ruth (un modèle 1957 noir surnommé Black Beauty) mais on lui vola cet instrument. Après avoir eu  un autre vol de guitare  à déplorer (modèle 1960 Sunburst), Jamerson trouve enfin celle qui ne le quittera plus, une Precision 1962 montée avec des cordes La Bella à fort tirant (052-110) et surnommée  » The Funk Machine « .
Les particularités de cet instrument sont :
-une action des cordes très haute (pour retrouver le touché de sa contrebasse)
-une touche de manche jamais nettoyée (Jamerson disait que la saleté gardait le funk)
-un manche creusé (la barre de tension n’a jamais été réglée)
-des cordes rarement changées (seulement si l’une cassait) et mutées par un morceau de mousse pour diminuer le sustain.
Doté de mains surpuissantes, seul Jamerson pouvait jouer sa Funk Machine (les rares bassistes ayant eu entre les mains sa basse disaient qu’elle était injouable).
Une des spécificités du jeu de Jamerson est l’utilisation de l’index de la main droite pour ses lignes de basse. Cette technique a pour nom   » The Hook « (le crochet) découlant directement de son passé de contrebassiste. A la différence de ses contemporains, James Jamerson rend vivantes ses basses par l’emploi de syncopes et de notes mortes, créant des lignes mélodiques puissantes d’une rare intensité, ce qui recadra définitivement le rôle de la basse dans la musique du 20ème siècle.
Malgré tout cet apport, les Funk Brothers restent dans l’ombre (pour préserver le secret maison) et ne sont jamais crédités sur les œuvres du label. De plus,Jamerson doit composer avec un alcoolisme latent , qui fait de lui un musicien au caractère imprévisible.
Lors de l’avènement de la soul psychédélique, mélange détonnant de rock et de soul (emploi d’effets sonores venants du rock comme la pédale wah-wah ou fuzz) initiée par le producteur Norman Whitfield (Coauteur d’œuvres magistrales  comme  » I Heard It Through the Gravepine  » ou  » Papa Was A Rollin’ Stone « ) dès 1968, les Funk Brothers font bien sûr partie de l’expérience, et le message des chansons se durcit en rapport direct avec l’actualité de cette époque (ségrégation raciale, émeutes à Detroit et Los Angeles,assassinat du Révérend Luther King).
L’apogée créative de James atteint son sommet lors de l’enregistrement de l’album  » What’s Going On  » de Marvin Gaye, considéré comme le plus grand opus de soul music de tous les temps, et sorti en 1971. Le bassiste est au top de sa forme malgré quelques situations cocasses (la ligne de basse du morceau titre de l’album a été jouée couché su le sol du studio car Jamerson était ivre mort et ne pouvait pas tenir sur son habituel tabouret).
Pourtant la belle épopée prend fin le jour ou Motown déménage son quartier général à Los Angeles, laissant sur le carreau l’orchestre responsable de la griffe sonore de tous les hits
C’est une erreur, car James ne se sent pas à sa place et il n’apprécie pas du tout la direction musicale et artistique prise à ce moment-là. De plus, il refuse de moderniser son son (Paul Jackson jr, bassiste de Herbie Hancock lui proposa les cordes à filetage rond pour être à la page, Jamerson déclina).
Au cours de la décennie 1970, son talent est de moins en moins utilisé mais on le retrouve sur des hits comme « Rock The Boat « des Hues Corporation ou  » Boogie Fever  » des Sylvers, et il accompagnera en tournée des artistes comme Marvin Gaye ou Joan Baez. Avec la mode grandissante des bassistes adeptes du slapping (technique consistant à frapper les cordes avec son pouce, créant un effet percussif) et du disco, James Jamerson et son style si novateur devient complètement obsolète et passé de mode.
Le 16 Mai 1983, pendant que Michael Jackson impressionne la planète avec son moonwalk lors du 25ème anniversaire de la Motown, Jamerson assiste incognito à la cérémonie, sa place achetée au marché noir, car aucun Funk Brother  n’a été invité, ce qui montre la gratitude de Berry Gordy.
Il nous quitte le 2 Août 1983 à l’âge de 45 ans des suites d’une cirrhose, d’une déficience cardiaque et d’une pneumonie. Quoi qu’il en soit, tous les adeptes de ce merveilleux instrument sont les enfants de James Jamerson.

Discographie sélective:

-Marvin Gaye ( » I Heard It Through The Gravepine, What’s Going On)

-Stevie Wonder ( » Uptight,  » For Once In My Life)

-The Four Tops ( » Reach Out I’ll Be There « , Bernadette « )

-The Temptations ( » Cloud Nine « ,  » Take A Stroll Thru Your Mind « )

-Eddie Kendricks ( » Keep On Truckin’ « )

Autres Morceaux non Motown:

-Arthur Adams ( » Home Brew « )

-Dennis Coffey ( » Outrageous, The Mind Excursion « )

-Lalo Schifrin ( » Ape Shuffle  » le thème de La Planète Des Singes)


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