Chroniques de Vincent Turban, Radio : émissions 2013

La Magliana : grandeur et décadence de la bande de criminels qui tenait Rome durant les années de plomb.

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bandamagliana-1Tenant en coupe réglée la cité de Rome durant 20 ans, l’organisation criminelle de La Magliana a fait couler le sang et parler la poudre pendant l’une des périodes les plus sombres de l’Etat Italien, les Années de Plomb… Retour sur l’histoire de cette Bande avec Vincent Turban.

1 – Les fondations

Au commencement, on trouve Franco Giuseppuci né en 1947  d’abord surnommé «Er Fornaretto» (le boulanger car son père exerçait ce métier) puis appelé «Er Negro» (à cause de son teint mât et de son admiration sans bornes pour Benito Mussolini). Petite frappe originaire du quartier du Trastevere, Giuseppuci assouvit sa passion pour le jeu, les armes, l’argent facile, et tisse des liens avec des factions nationalistes et néofascistes. À 20 ans à peine, il commence à se faire un nom dans le milieu de la pègre romaine en devenant chef d’un groupe de malfaiteurs et de voleurs dans le quartier du Trullio. Puis il devient fournisseur officiel d’armes pour tous les braqueurs de la ville, mais cette montée en puissance est stoppée nette en 1976 car  «Er Negro» est arrêté. En effet, tout un arsenal a été découvert dans sa caravane. Malgré les preuves, personne n’arrive à prouver sa culpabilité et Franco Giuseppuci est libéré peu de temps après.

Un événement inattendu va accélérer le processus de création de la bande, le vol du stock d’armes du «Negro» qui se trouvait dans sa voiture. Le problème : une partie des armes appartient à un ami de Giuseppuci, un certain Enrico De Pedis «Er Renartino ». Ce malfaiteur amateur de braquages, de belles sapes et de femmes est le chef des Testaccini…. Qui vont mener leur propres investigations et finir par retrouver la trace de l’arsenal volé chez une bande de voyous ayant pour quartier général le faubourg de La Magliana. L’incident clos, «Er Negro » suggère la création d’une organisation criminelle à De Pedis, ce dernier ainsi que deux nouveaux venus Maurizio Abbatino «Er Crispino » (le frisé) et Antonio Mancino «l’accatone » acquiescent et adhèrent au projet.

Les fondations de la Bande De La Magliana sont établies, l’heure est maintenant à la prise de pouvoir par tous les moyens possibles.

2 – La montée en puissance

En 1977, premier fait d’armes marquant de la Magliana est le rapt du duc Massimiliano Grazioli Lante Della Rovere pour lequel une rançon de 10 milliards de lires est exigée pour sa libération. Finalement 1,5 milliard de lires seront versées alors que le duc a été exécuté pour avoir aperçu le visage d’un de ses ravisseurs. Au lieu de dépenser l’argent du kidnapping, Franco Giuseppuci propose de le réinjecter pour financer d’autres projets criminels, cette idée adoptée à l’unanimité, de nouveaux visages viennent se greffer à l’organisation. Ainsi Gianfranco Urbani «Er Pantera » (la panthère, ayant des connexions avec la mafia calabraise et la n’drangheta), Nicolino Selis «Il Sardo » (le sarde, connexions avec la camorra napolitaine) et Danilo Abbruciati «Er Camaleonte» (le caméléon, spécialiste en investissements immobiliers et proche de Cosa Nostra) viennent grossir les rangs de l’organisation. La bande étend son emprise sur les courses hippiques, les tripots, les prostituées et sur la cité romaine, tous ceux qui se mettent en travers de leur route se retrouvent lestés de plomb et habillés avec un costume en sapin.

Un seul secteur leur échappe, mais plus pour très longtemps, le trafic de drogue, alors peu répandu à Rome. Avec l’appui de Cosa Nostra, le trafic s’installe progressivement et les produits en tout genre tombent en pluie sur Rome (héroïne, cocaïne, haschich…)

Le système fonctionne de la manière suivante :

Les chefs de bande dictent leurs ordres au «cheval» qui gèrent des «fourmis» (au nombre de 7 ou 8) installées dans tous les quartiers de la cité. Et pour renforcer leur pouvoir, il est de bon ton de recevoir l’appui des Nuclei Armati Rivoluzionari (NAR ou noyaux armés révolutionnaires), groupuscule néofasciste et terroriste en la personne de Massimo Carminati « Er Nazista », client régulier du bar de Giuseppuci et Abbatino. Carminati devient « apprenti » de la bande et organise une rencontre avec Valerio Fioravanti (jeune espoir du cinéma italien ayant basculé dans le terrorisme et chef fondateur des NAR) et Francesca Mambro (compagne de Fioravanti).

La Magliana soutient les Noyaux en finançant leurs actions politiques par le biais de leurs hold-ups, tandis que les NAR aident la bande dans les activités liées à la rue (racket, convoyage de drogue…). La collaboration Magliana/NAR ne s’arrête pas là car un stock d’armes à feu est caché dans les soubassements du Ministère De La Santé, ce qui en dit long sur l’infiltration des hautes sphères dirigeantes du pays par l’organisation criminelle.

Une autre aide précieuse, celle apportée par le Professeur Aldo Semerari (Il Professore Nero) membre de la loge maçonnique P2 (dirigée par Licio Gelli, où cohabitent magistrats, services secrets ou dirigeants des forces de l’ordre) criminologue et psychologue de son état et accessoirement néofasciste notoire. Semerari délivre des certificats médicaux qui ouvriront plus d’une fois les portes des établissements pénitenciers de Rebibbia ou Regina Coeli où sont incarcérés les pontes de la Bande de La Magliana.

La bande est frappée de plein fouet par le décès de « Er Negro », abattu Piazza San Cosimato dans le quartier du Trastevere le 13 Septembre 1980 par les hommes de mains du clan Proietti pour venger la mort d’un des membres du clan mort deux ans plus tôt. Dès lors une guerre de succession est déclenchée et Maurizio Abbatino « Er Crispino » prend le contrôle de la Magliana.

3 – La chute

Gangrenée par les rivalités et l’individualisme, la bande de La Magliana perd progressivement de son aura et certains commencent à jouer en solitaire comme Nicolino Selis «Il Sardo», qui allié à la Camorra napolitaine se met à dealer pour son propre compte. Selis se verrait bien calife à la place du calife mais la bande ne l’entend pas de cette oreille et le 3 février 1981, sous l’ordre de Enrico De Pedis «Er Renartino», Nicolino «Il Sardo» est éxécuté par un commando constitué de Danilo Abbruciati «Er Camaleonte», Marcello Colafligi «Er Marcellone» et Antonio Mancino «L’accatone».

La dégringolade se poursuit lorsque Danilo Abbruciati est abbatu comme un vulgaire voleur de seconde zone. Ce dernier devait éxécuter un contrat, à savoir l’assassinat du vice-président de la Banque Ambrosiano, Roberto Rosone, mouillé dans un scandale politico-financier. Les commanditaires du crime ne seront jamais démasqués.

Toujours la même année, la police fait une découverte dans l’arsenal de la bande. 4 cartouches de calibre 7.65 venant d’une arme peu courante, un Gévelot. Cette arme a servi le 20 mars 1979 pour tuer le journaliste Mino Pecorelli. Près de 30 ans après les faits, sa mort reste un mystère non élucidé.

Coup de théatre en octobre 1983 : Fulvio Lucioli «Il Sorcio» (le rat) commet le crime de tout dénoncer à la justice italienne. D’autres membres de La Magliana l’imiteront comme Antonio Mancino «L’accatone» ou Maurizio Abbatino «Er Crispino». A partir de là, toute une suite de procès démontreront que les membres de La Bande De La Magliana ont été utilisés et manipulés par les services secrets de l’Etat dans des affaires politico-judiciares qui étaient très loin des objectifs de la bande (recherche des kidpanneurs du président du conseil Aldo Moro par exemple).

4 – Epilogue

Selon Giancarlo de Cataldo (magistrat ayant participé à divers procès des ex de La Magliana et auteur de Romanzo Criminale, ouvrage retraçant l’historique de la bande) «La Magliana sont des néofascites qui se sont criminalisés et non des criminels qui se seraient politisés.» Une définition qui prend tout son sens quand on aborde les idéaux politiques des protagonistes. Jamais une organisation criminelle n’est allée aussi loin dans la conquête de la ville de Rome tout en maintenant une politique de terreur, car à l’heure actuelle tout le monde connaît et se souvient avec crainte de La Banda De La Magliana

– Maurizio Abbatino est actuellement collaborateur de justice (protégé en permanence, personne ne sait où il vit actuellement).

– Enrico De Pedis a été assassiné le 2 février 1990. Son corps repose dans la nef de la Basilique Sant’Apollinare, réservée aux souverains pontifes, ce qui crée encore aujourd’hui une polémique.

– Antonio Mancino est assigné à résidence et a collaboré avec la justice.

– Gianfranco Urbani a été arrêté en 1999 pour trafic international de stupéfiants.

– Aldo Semerari a été assassiné par vengeance de la Camorra le 1er février 1982.

– Massimo Carminati est en cavale depuis son évasion du dépôt du Palais de justice de Rome en juillet 1999.

– Valerio Fioravanti et Francesca Mambro, condamnés à perpétuité pour le massacre de la gare de Bologne du 2 août 1980, ont été acquittés suite à la révision de leur procès.


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