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Cette semaine, j’ai choisi de me demander si la musique électronique ou plutôt, les musiques électroniques peuvent être engagées politiquement ?
Tout d’abord, je veux qu’ il n’y aura pas dans cette chronique d’analyse acoustique, psychologique, métaphysique ou artistique de la musique électro. J’en serai bien incapable. Je me bornerai à me poser la question sur le plan sociologique et historique.
L’électro me semble être vraiment la musique de notre temps. La diversité de sa production à l’échelle mondiale est impressionnante actuellement. Mais elle reste méconnue dans le grand public et le plus souvent elle y est associée à de nombreux clichés et préjugés.
Pour beaucoup, la musique électronique se résume à un » boum boum » que certains jeunes écoutent dans les boîtes de nuit. Pourtant, la définition de la musique électronique recouvre une réalité très large et très complexe. Toute musique obtenue par la manipulation d’instruments numériques et de machines informatiques est considérée comme musique électronique. Ce qui est tout de même très vaste. À l’intérieur de cette définition des dizaines de styles se sont développés comme par exemple la « techno », la « deep techno », la « house », la « deep house », le « trip hop », la « trance », le « hardcore », l’« electronica » mais aussi le « ragga jungle », le « drum & bass », le « dub step », le « nu disco », l’ « ambient », l’ « experimental » et bien sûr la « minimale ». Et encore je n’en cite que quelques uns !
Je vous rassure, même quand on est amateur de musique électronique, il est parfois bien difficile de s’y retrouver dans ces catégories qui évoluent au fil du temps. Les différences de tous ces styles dépendent beaucoup de la rapidité du rythme, de la place accordée à la voix, ou de la profondeur des basses. Mais presque chaque type correspond à une technique musicale précise et a sa petite histoire. Par exemple la drum & bass correspond à une boucle de funk, une phrase musicales tirée d’un morceau de funk, lue à l’envers sur une platine vinyle et accélérée autour de 170 pulsations par minutes…
La raison qui m’a poussé à me demander si les musiques électroniques pouvaient avoir une portée politique est donc, en priorité, que je voulais profiter de cette chronique pour rendre justice à la créativité et à la diversité des musiciens d’électro. C’était aussi un peu par provocation. Dans les années 1960, le rock était associé au fantasme d’une jeunesse bonne à rien et décadente.
De la même façon aujourd’hui, on représente souvent la jeunesse actuelle comme dépolitisée et l’image des jeunes, qui vont faire la fête, dans les boites de nuit, juste pour danser sur cette musique de sauvage qu’est l’électro, dans le simple but d’oublier le stress du boulot, et de leur vie quotidienne en s’enivrant jusqu’à plus soif, correspond bien à ce cliché. Dans ce cadre l’électro serait un défouloir, le contraire donc d’un acte politique.
Il y a du vrai dans cette image, mais comme d’habitude les choses sont un peu plus complexes dans la réalité que dans les imaginaires. On peut aller en club juste pour écouter un artiste particulier, comme on va à l’opéra pour écouter une pièce particulière dirigée par tel ou tel chef d’orchestre.
Et de la même façon que le chœur des esclaves dans l’opéra Nabucco de Verdi est devenu un hymne à la liberté qui fait vibrer le cœur de bon nombre d’italiens, on peut imagine qu’une composition de musique électronique puisse avoir une véritable portée politique.
Déjà rétablissons un fait. L’électro est loin d’être une musique sans parole. Dans la Jungle où la Drum & Bass, dont nous parlions tout à l’heure, le DJ est presque toujours accompagné d’un MC, un maître de cérémonie, ou microcontroller comme on l’appelle, qui accompagne le rythme en rappant. C’est l’occasion de rappeler que la frontière entre l’électro et le Hip hop est très floue et parfois il suffit qu’une place un peu plus importante soit laissée à la composition musicale, aux Beats et aux Bass, pour que le groupe passe du rayon Hip Hop au rayon électro. Comme dans les autres styles de musiques, il suffit donc que le chanteur ait des textes politisés pour que l’on ait à faire à de la musique engagée.
Mais l’électro a aussi une manière bien à elle de faire passer des textes politiques : c’est l’utilisation du sample. Cette pratique utilise les possibilités du numérique qui facilite l’isolement d’un son ou d’une phrase musicale particulière et de sa réutilisation dans une nouvelle composition.
Ainsi le Nu Jazz mixe le jazz et l’improvisation à partir d’instruments dits analogiques, ici le saxophone ou le xylophone, avec des sons électroniques issus de synthétiseurs ou d’ordinateurs. On reconnait ici la voix de Jeanne Moreau lisant une lettre dénonçant la politique française d’expulsion des immigrés sans papiers. Cette voix est réutilisée est remixée pour s’adapter à la musique et là le message est indubitablement politique.
Sans parler des textes, l’électro est, à l’origine, un style de musique contestataire car il est un enfant de la contre culture et il garde aujourd’hui encore des traces de cette histoire.
Dans les années 60-70 la contre-culture était associée au rock plus ou moins psychédélique qui accompagnait le mouvement hippie. Il avait sans conteste une véritable portée politique. C’est dans ce contexte, où l’on commence à utiliser des synthétiseurs, que nait la musique électronique avec des groupes comme Tangerine Dream ou Kraftwerk.
Ensuite, leurs descendants demeurent longtemps et très fortement assimilés à la culture underground. La Techno apparait lorsque des DJs commencent à mélanger, à mixer, deux disques simultanément et à modifier le rythme et les sons pour créer un nouveau morceau. Rien de très subversif me direz-vous. Pourtant, dès les années 1980, cette musique est expressément visée par une mesure du gouvernement Thatcher en Angleterre qui interdit les regroupements de plus de dix personnes pour écouter de la musique répétitive.
Et longtemps après, un préjugé négatif entoure encore et toujours la musique électronique.
Ce qui dérange, outre l’assimilation de ce genre musical à la consommation de drogue c’est son rapport à l’espace public. Dans les années 90, des collectifs de Djs où de minuscules label posent des sound system dans des friches industrielles ou en pleine campagne. Le plus souvent sans demander d’autorisation. Pendant quelques jours ces lieux ainsi ouverts deviennent le point de ralliement pour des centaines puis des milliers de gens qui partageant musique, ecstasy et style de vie en marge de la société. L’idéal communautaire et déconnecté de la société de consommation y est la norme un peu comme dans le rock hippie autour de 1968. Mais ici la figure du hippie a cédé le pas à celle du routard, du traveller. Un jeune adulte qui vit dans son camion, parfois avec des chiens, souvent à plusieurs, et qui sillonne les routes au grès de ces rassemblements et des boulots saisonniers.
En France c’est l’époque des raves ou des free party qui scandalisent riverains et sur lesquels les médias se déchaînent. C’est aussi l’époque des clubs underground londoniens et des grands squatts berlinois qui deviennent connus dans le monde entier. C’est dans ces lieux que se développent et se diffusent la plupart des musiques électroniques. La Drum and Bass par exemple, pour s’en tenir à celle là.
Aujourd’hui l’écoute des musiques électronique s’est institutionnalisée. Les clubs et les salles de concert accueillent à bras grands ouverts les DJs les plus connus comme Siriusmo par exemple.
Beaucoup de ces clubs jouent sur une image pseudo-contestataire comme le célèbre Berghain à Berlin. Ce club perçu comme « le meilleur du monde » par beaucoup de gens branchés, est en fait une ancienne centrale électrique transformé en immense lieu de fête, allant jusqu’à comprendre deux Back Room dans laquelle les gens batifolent parfois dans tous les sens du terme. Ici, comme dans beaucoup d’autres clubs, la tendance est à l’institutionnalisation, la remise en cause de quelques pesanteurs morales, tout au plus, et la focalisation sur la qualité du son. Sulfureux oui, mais pas vraiment révolutionnaire.
Mais une partie de la famille électro a conservé son côté rebel. La drum and bass par exemple, n’a toujours pas les honneurs des grands clubs. Elle reste une musique de jeunes fauchés qui n’attire qu’une population trop peu consommatrice pour être rentable. D’où sa quasi absence des clubs parisiens qui lui préfèrent la minimale ou le dubstep, égéries des jeunes branchés issus des classes moyennes ou supérieures.
Les afficionados de ces musiques doivent donc chercher d’autres lieux. Ainsi, à Berlin, des illegale Partys, des fêtes illégales, continuent à être organisées dans les nombreux lieux abandonnés et autres terrains vagues qui caractérisent la capitale allemande. Ces fêtes reprennent peu ou prou le fonctionnement des raves. Platines et enceintes sont installées, parfois pour quelques heures seulement, dans des lieux abandonnés en plein cœur de la capitale allemande ou dans ses anciennes banlieues industrielles et bon nombre de gens s’y retrouvent pour danser la plupart du temps informés quelques heures auparavant par le bouche à oreille. Le but est ensuite de tenir jusqu’à ce qu’arrive la police qui souvent doit renoncer à évacuer le lieu du fait de la foule présente. Je m’en souviens d’une à laquelle j’ai participé et qui avait lieu à l’intérieur d’une station de métro berlinoise, Jannowitzbrücke, durant l’hiver 2008.
Certes ce sont plutôt de petites provocations pour donner le frisson de l’interdit et rarement elles s’accompagnent d’une pensée politique vraiment structurée. Mais ces rassemblements sont aussi des manières de protester contre la privatisation rapide de la capitale dont la qualité principale est l’importance de l’espace public laissé vacant.
De manière un peu plus militantes, certains artistes ont parfois utilisé cette caractéristique de la musique électronique. John Jordan est un artiste anglais aussi activiste du mouvement Reclaim the Street, ce mouvement de désobéissance civile qui promeut une réappropriation par les citoyens de l’espace public de plus en plus privatisé.
Il avait ainsi monté un projet dans lequel un compositeur de musique électronique était installé sur une structure roulante faite de vélos récupérés. Il circulait ainsi dans une rue en diffusant simultanément grâce à un émetteur pirate une composition sur 5 canaux. Environ 150 personnes étaient venues sur leur vélo écouter avec des postes de radio portatifs, cette composition musicale seulement complète lorsque l’on écoutait les 5 canaux simultanément. Il fallait donc soit avoir 5 postes de radios différents soit être plusieurs. Ils avaient ainsi occupé la rue pendant quelques heures avant que la police ne les évacue.
Donc non la musique électronique ne se résume pas à de jeunes décérébrés écoutant du David Guetta en boucle. Comme tous les genres musicaux, on y trouve des tubes commerciaux et consensuels et une foultitude de petits artistes qui pensent leur musique et sa répercussion sur la société.
J’espère ainsi avoir déconstruit quelques clichés et aiguisé votre curiosité.