Ecoutez la chronique de Vincent Turban du 2 mars
1969 est définitivement une année maudite pour le quartet de Los Angeles, Californie. Attentat à la pudeur commis par un Jim Morrison ivre mort lors du chaotique concert de Miami en Avril (on ne saura jamais vraiment la vérité…) campagne de boycott national, annulations en cascade de concerts et tournées, échec commercial de l’album « The Soft Parade », et pour noircir un peu plus le tableau, la métamorphose de leur leader passant d’un physique d’Adonis provocateur à celui d’un Falstaff barbu, déprimé, encore jeune mais déjà usé par les excès.
Ajoutez à ce marasme les tensions de plus en plus fréquentes entre John Densmore, Ray Manzarek Robby Krieger et Jim Morrison. Pourtant au milieu des ténèbres, il existe toujours une éclaircie, cette dernière à pour nom Morrison Hotel, sorti le 1er Février 1970.
Enregistré en Novembre 1969 (sauf 2 morceaux,Indian Summer en 1966 et Waiting For The Sun en 1968), le cinquième album du groupe délaisse les expérimentations de cordes et de cuivres aperçues sur « The Soft Parade » et les délires planants et psychédéliques des 3 premiers opus, pour revenir à la source du rock depuis ses débuts, c’est à dire le blues. Le 1er titre « Roadhouse Blues » annonce clairement la couleur avec son riff de guitare incisif, son piano bar, son harmonica soufflé avec brio par John Sebastian (Des Lovin’ Spoonful sous le pseudonyme de Gabriel Puglese), le tout saupoudré par la voix rocailleuse et puissante façonnée au Whisky et à la cigarette de Morrison.
« Waiting For The Sun » distille une ambiance crépusculaire et mystérieuse avec ce déluge de claviers tenus de main de maître par Ray Manzarek (décidemment un des meilleurs organistes de l’histoire du rock), retour au boogie énervé sur « You Make Me Real », suivi d’un commentaire politique, chose plutôt rare chez Les Doors avec « Peace Frog » qui parle de sang dans les rues de Chicago, une bombe absolue menée par la guitare maniaque, voire carrément funky de Robby Krieger, mention spéciale pour le groove et la pulse rythmique du batteur John Densmore. Suivent ensuite la lénifiante balade « Blue Sunday », et le terrible « Ship Of Fools » qui nous parle de pollution et de fin du monde.
La deuxième partie du disque est plus calme et plus intimiste, s’ouvrant sur « Land ho ! », un titre effréné mais pas exceptionnel. « The Spy » est un blues lent et remarquable, « Queen of The Highway » n’apporte rien de particulier malgré une atmosphère jazzy, « Indian Summer » est d’une sensualité et d’une douceur incroyable. Pour conclure cet album orienté très rock dans son ensemble, « Maggie M Gill »et sa progression digne de John Lee Hooker, avec cette guitare slide magistrale et ce court mais imparable solo, exécuté à l’orgue par Mr Manzarek.
Au final, un album vraiment bluffant que je vous conseille de découvrir ou de redécouvrir, si vous êtes passé à côté, aussi bien pour les fans absolus comme pour les néophytes de l’univers du groupe le plus atypique de l’histoire du rock.