Écoutez l’émission du 3 octobre avec Alexandre Le Cleve
Alexandre Le Clève, le représentant de la Cimade au sein du collectif Romeurope, qui regroupe une trentaine d’associations dénonce les « retours volontaires forcés » de Rroms expulsés afin de gonfler les statistiques des reconduites aux frontières et réclame la possibilité d’un égal accès au droit pour ces populations isolées et stigmatisées.
En France, les communautés rroms, en particulier originaires de Roumanie, sont très largement utilisés par l’Etat français comme « chair à statistique » de sa politique du chiffre en matière d’expulsion. Ce sont pourtant bien des citoyens de l’union européenne depuis le 1er janvier 2007, ils devraient à ce titre pouvoir bénéficier des règles de libre circulation commune à tous les Européens. En 2010 au CRA du Mesnil-Amelot, les Roumains ont été les ressortissants les plus éloignés ; le préfet de Seine-et-Marne a à lui seul a expulsé 70% d’entre eux, ce qui lui a permis de réaliser 33% de ses éloignements effectifs ! Un chiffre qui ne marque pas un tournant, mais la poursuite d’une politique mise en place il y a plusieurs années : Avant 2007, les Roumains représentaient un tiers des expulsions. En 2006, des charters de centaines de Roumains décollaient régulièrement de l’aéroport de Roissy. Depuis 2007, il semble que peu de choses aient réellement changées, ces Européens restant une population cible pour l’administration « grâce » à deux instruments, l’aide au retour et l’enfermement. Un même objectif : l’expulsion.
L’aide au retour volontaire, ce dispositif géré par l’Office des migrations internationales (OFII) depuis 2006 aurait pu mener à un réel accompagnement des projets de retour : information, préparation d’un projet de réinstallation, accompagnement personnalisé avant le départ et à l’arrivée. Pourtant après quatre année de pratique, force est de constater que ce dispositif n’a de volontaire que le nom. En effet, c’est souvent sous la contrainte que se déroule la procédure : des agents de l’OFII accompagnent des fonctionnaires de police dans les squats et bidonvilles en passe d’expulsion. Menaces de garde à vue et de placement en rétention, sommations policières de signer les documents avant ou après la montée dans le bus, confiscation des papiers d’identité, absence d’interprète : autant de moyens pour que ces personnes acceptent les 300 euros de l’aide au retour. Aucun accompagnement à un projet de réinstallation en Roumanie n’est mis en place. Ainsi, en 2009, sur les 30 000 étrangers expulsés du territoire, plus d’un tiers étaient des ressortissants roumains ou bulgares rapatriés via ce dispositif. Ces pratiques échappent à tout contrôle de la société civile et des juridictions. Et comme elles coûtent vingt fois moins cher que la rétention, l’administration les développe considérablement. Les retours « humanitaires » ne suffisent plus à satisfaire la politique des quotas : l’État veut expulser plus, et plus facilement. Cette chasse aux Roumains – et plus particulièrement aux Roms – pour satisfaire les quotas et la politique du chiffre s’inscrit dans un contexte politique très tendu. Dans son discours de Grenoble du 30 juillet 2010, le Président de la République a explicitement stigmatisé et amalgamé les communautés de gens du voyage et les Roms, victimes depuis des siècles de discriminations. Cette stigmatisation s’est traduite par une circulaire que les pouvoirs publics ont d’ailleurs eue du mal à justifier lorsqu’elle a été révélée. Les Roumains sont une population cible pour les interpellations et les placements en rétention. Au Mesnil-Amelot, ils ont été la cinquième nationalité la plus enfermée en 2010 (149 personnes, soit 6,2% du total) ; leur présence a été encore plus significative en fin d’année pour atteindre le deuxième rang des nationalités au dernier trimestre, et la majorité d’entre eux (68,5%) était enfermée par la préfecture de Seine-et-Marne : cette préfecture a clairement choisi la solution de facilité pour réaliser ses objectifs chiffrés. Pour l’administration, ces expulsions sont très simples : les Roumains préfèrent presque toujours ne pas exercer leurs droits de recours et partir au plus vite, plutôt que de risquer de rester enfermés plus longtemps dans l’attente d’une décision de justice. Ils pourront de toute façon revenir aussitôt pour rejoindre leurs proches. Ainsi ils subissent un enfermement inepte, tandis que le droit communautaire est allègrement violé. Un phénomène illustrant parfaitement l’absurdité de la politique des quotas d’expulsions et une institutionnalisation de la discrimination. L’ignorance de leurs droits, l’exclusion des citoyens européens roumains et notamment Roms ainsi que leur refus de l’enfermement dans un camp, permettent la réalisation facile des expulsions, « humanitaires » ou forcées. S’agit-il d’une discrimination raciale à l’égard de la communauté rrom ? Cette criminalisation sur des bases ethniques ne cache-t-elle pas la gestion sécuritaire des plus pauvres et des plus faibles ?