Livres, Radio : émissions 2012

Rencontre avec Didier Daeninckx, écrivain pour qui les luttes joyeuses n’en sont pas moins fertiles.

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Le bus me dépose à Aubervilliers, au bord d’une route départementale. Après quelques hésitations, je m’engage dans une rue aux maisons délabrées, pour certaines, même, à l’abandon… Passé le premier virage, le paysage s’urbanise quelque peu : je passe devant un collège, un centre de formation professionnelle, puis m’arrête devant le numéro que j’avais noté sur mon carnet. Le nom de Daeninckx sur la boîte aux lettres me confirme que c’est la bonne adresse.

Quelques instants après mon coup de sonnette, la porte s’ouvre sur l’homme aux cheveux mi-longs et aux yeux de chats dont j’avais vu l’image sur la quatrième de couverture du « Banquet des affamés ». Il retient tant bien que mal par le collier Dillo, une jeune épagneule bretonne pleine de vie. Précédés par la chienne, nous montons les deux étages de sa maison de ville pour atteindre son bureau. Un espace clair et calme, fonctionnel et assez dépouillé. Manque l’incontournable et pléthorique bibliothèque devant laquelle posent souvent les plumitifs… Ici les livres s’écrivent, parfois durant plus de dix heures par jour, me confiera Didier Daeninckx au cours de la discussion, mais, manifestement, ils ne s’exposent pas ! L’endroit est décidément très sympathique. L’entretien peut commencer !

Et si l’écrivain m’a fait venir sur ses terres, ce n’est peut-être pas uniquement pour des raisons pratiques. En effet, s’il refuse catégoriquement toute assignation géographique, l’homme, né à Saint-Denis, en 1949, dans le département de la Seine, avant que le terme « banlieue » ne soit inventé, est bel est bien ancré sur ce territoire de Seine-Saint-Denis. C’est là que sont nées ses aspirations de révolte, d’engagement et d’écriture. C’est là aussi qu’il a grandi, entre un grand-père paternel anarchiste, pacifiste et déserteur de la première guerre mondiale et un autre, du côté maternel, membre du Parti Communiste, maire de Stains, puis Conseiller Général de la Seine. Ce dernier, après avoir été débarqué du PC pour avoir pris position contre le pacte germano-soviétique, fut réintégré après la guerre par Charles Tillon. Ajoutons un père ouvrier et anarchiste et l’on comprend que, chez les Daeninickx, la politique devait être au menu de chaque repas !

Mais Didier va quitter le foyer familial très jeune. A 16 ans, après s’être fait virer du lycée technique d’Aubervilliers « pour avoir oublié de la fermer », il devient ouvrier imprimeur, formé sur le tas, en à peine un mois, à ce métier qui le rapproche déjà du livre. Une manière de prendre son indépendance… Après quelques mois d’usine, c’est l’appel du large. Le jeune homme, qui a mis quelque argent de côté, décide de partir visiter le monde. En 1968, il parcourt durant trois mois et demi le Moyen-Orient, et, au passage, visite les camps palestiniens… A son retour en France, il reprend son poste avant de motiver ses camarades pour qu’ils se mettent en grève… On est en mai. Daeninckx, adhérent au puissant syndicat du livre CGT, se sent quelque peu écartelé entre les aspirations estudiantines à une plus grande liberté (desquelles il se sent proche) et celles, parfois plus « réac » des ouvriers, du parti communiste, du syndicat et de sa famille.

« Les adultes avaient du mal à comprendre le mode de vie de la jeunesse de l’époque : la libération des mœurs, nos vêtements, la liberté que nous revendiquions tant sur le plan social, qu’artistique, moral ou sexuel, leur faisait très peur ! », me confie l’auteur, dont les yeux s’allument à l’évocation des Kinks, de James Brown, des Rolling Stones, et de Led Zeppelin…

Mais si le rock est pour cette jeunesse en quête de liberté un moyen de s’émanciper, le fameux « Théâtre de la commune » d’Aubervilliers, qui vient tout juste d’être construit et deviendra plus tard une scène nationale, en est un autre. Dès ses 15 ans, Didier Daeninckx y passe tout son temps libre. Grâce à la programmation éclectique du lieu, il découvre Shakespeare interprété par la troupe de Gabriel Garran, Goldoni, les films de William Klein, voit Ferré sur scène, et parvient même à se faufiler jusqu’à la loge de Brel après un concert… C’est surtout l’occasion de rencontres, de découvertes (notamment de l’univers des Surréalistes), et de discussions passionnées, durant lesquelles s’organisent des manifestations de protestation contre la guerre du Vietnam ou le nucléaire…

« Ce théâtre, dans cette ville marquée par les industries et l’odeur des abattoirs, et vivant au rythme de la vie ouvrière, était un peu comme un cœur battant qui montrait qu’il y avait une vie après le travail ! A l’époque, les ouvriers venaient en masse au théâtre, ils s’étaient approprié l’endroit, comme une revanche sur ce que l’on imposait à ce territoire. D’ailleurs, on vendait des billets de spectacle au porte à porte dans les HLM ! », me glisse, avec une pointe de nostalgie, celui qui, très attaché à l’éducation populaire, est souvent invité à présenter ses livres par différents comités d’entreprises.

Dès le milieu des années 70, avec l’arrivée de l’informatique et de la PAO, les ouvriers du livre sont « sacrifiés ». Ces ouvriers qualifiés, qui se pensaient insubmersibles, ont alors pu être remplacés du jour ou lendemain, c’était la fin de leur toute-puissance…

Pour la première fois sans travail, Didier Daeninckx tente vainement, en 1977, de faire publier son premier roman, « Mort au premier tour », qui s’articule autour de l’assassinat d’un ouvrier employé dans une centrale nucléaire, délégué syndical CFDT et écolo. « Parce qu’il faut bien gagner sa vie », et parce qu’il a décidé de le faire avec sa plume, Daeninckx devient journaliste localier. « Obligé d’écrire sur des choses extrêmement prosaïques, comme par exemple la réfection des trottoirs, j’avais fait un article en m’intéressant au bitume, une matière qui vient du pays des mille et une nuits. Ainsi j’emmenais les lecteurs en voyage, à des milliers de km, par la simple vertu des mots. C’est un peu durant ces trois ou quatre ans (1978-82), en tant que localier sillonnant Villepinte, Sevran, Aulnay-sous-bois, Blanc Mesnil, etc., que j’ai fait mes classes d’écrivain. »

D’ailleurs, en 1982, quand un éditeur accepte enfin son premier livre, Daeninckx plaque tout pour faire son entrée en littérature. Cet admirateur de la Série Noire, de Manchette, Vautrin, Fajardie et consorts se lance alors dans l’écriture de « Meurtre pour mémoire », qui parait en 1984. Première fiction déchirant le voile de silence recouvrant la guerre d’Algérie, avec en point d’orgue la manifestation du 17 octobre 1961 et ses conséquences, ce livre contribue à rendre compte de ce qu’il faudra bien reconnaître un jour comme un crime d’état. « D’ailleurs, cela faisait partie des promesses de campagne du candidat Hollande », rappelle Daeninckx.

Livre après livre, l’auteur va s’attacher à rendre justice à des témoins oubliés de la Grande Histoire. Ainsi, le portrait de Maxime Lisbonne (1839-1905) héros du dernier en date « Le Banquet des affamés », est tracé avec délectation et à la première personne. Daeninckx se met véritablement dans la peau de ce communard, proche de Louise Michel, condamné à mort et déporté en Nouvelle-Calédonie avant d’être gracié, qui ne se contente pas de lendemains qui chantent mais veut être heureux « ici et maintenant ». Un appétit  de vivre qui le conduit à inventer le « théâtre déshabillé » et à prendre la direction des Bouffes du Nord, où il fait jouer à la fois Hernani de Victor Hugo, et quelques pièces plus légères. Ce joyeux luron est aussi, d’une certaine façon, le grand-père de Coluche, créant les premiers restaurants du cœur en 1885 : un « banquet des affamés » auquel sont conviés tous les pauvres du 18e arrondissement de Paris, qui y viennent en famille….

L’écrivain tente, par la plume, comme il l’avait fait, plus jeune, dans la vie, d’associer plaisir, liberté, engagement et désir de justice.

Aujourd’hui encore, en tant que citoyen actif et vigilant, même s’il fustige ceux qui tirent à boulets rouges sur le nouveau gouvernement, il vient de signer une pétition contre le traitement infligé aux populations Rroms, parraine des enfants sans papiers et n’hésite jamais à aller soutenir les ouvriers d’une entreprise en grève. Parce qu’écrire, peut-être, ne suffit pas !

 


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